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L'aile annulaire - par Denis MICHEL.

Aujourd’hui, évoquons ensemble une nouvelle bizarrerie volante qui, je l’espère, vous servira de source d’inspiration pour vos futurs modèles :

L’aile annulaire

Nous avons tous vu ces sortes d’ailes sans toujours en prendre conscience. Les militaires sont en effet des grands fans de ce type de voilure :

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L’intérêt : de tels empennages sont censés générer deux fois la portance d’un empennage de même encombrement. En clair, on en met deux fois plus dans la soute à bombes.

Ok mais une bombe, ça tombe. Vous ne croyez pas que ça vole ? Expérience : prenez du papier ordinaire, fabriquez deux cercles, un grand et un petit avec un repli pour le bord d’attaque. Reliez les deux cercles par une poutre centrale (en balsa ou carbone).

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Donc ça vole.

Et si en plus vous achetez ce petit accessoire fun qu’on trouve sur le net qui permet de doter un avion de papier ou de Dépron d’une motorisation et de dérives pilotables, ça vole encore mieux.

 

Alors qu’est-ce qu’une aile annulaire ? Techniquement c’est une aile d’avion non plane, de forme circulaire ou annulaire qui englobe le fuselage de l’appareil dans sa totalité ou au moins son propulseur.

Un tube, oui c’est ça…

Sur le papier, le tube a, on l’a vu, l’avantage de générer de la portance avec un très faible encombrement, en l’air comme au sol. Alors que les oiseaux, eux, ne replient leurs ailes qu’une fois au sol sous peine de se casser la gueule. Et après on viendra me dire que la nature est bien faite.

Autre avantage, l’extrémité des ailes génère toujours des « tourbillons marginaux » qui est la manifestation principale de la turbulence de sillage générée par un avion, dangereuse pour la circulation aérienne et coûteuse en consommation de carburant. Très mauvais pour le rendement aéronautique. Avec une aile qui ne finit pas, plus de problème, et un allongement en théorie infini. Il existe ainsi des winglets de forme annulaire.

Une application marrante est ce prototype d’éolienne qui supprime les tourbillons en bout de pale par un rotor de 6 pales annulaires c’est-à-dire 12 pales courbes dont on a repoussé le bout de pale vers l’infini.

Verdict : une meilleure conversion de la puissance du vent,moins de turbulences à l’arrière de l’éolienne, un niveau de bruit plus faible. 

Sur le mode de fonctionnement de l’aile annulaire avec un flux d’air canalisé, c’est très étonnant : pas de dièdre, pas de flèche, pas de vrillage, pas d’effilement, pas de pertes marginales, pas de flexion, pas d’inclinaison, pas de dérapage, pas de glissade, pas de vrille…Une aile extrêmement moderne et, pourtant, dans les calculs on l’assimile à un biplan, ce qui n’est pas tellement révolutionnaire… 

Arrivé à ce stade, si vous avez lu mes précédents articles sur les formules aérodynamiques atypiques, vous vous attendez à ce que je vante les qualités injustement méconnues de l’aile annulaire comparée aux ailes classiques affreusement banales.

 

Alors comment ça vole ?

Réponse : très mal

Les ailes annulaires sont catastrophiques en matière de rendement aérodynamique. La portance est bonne, certes, mais la traînée est gigantesque, surtout à faible vitesse. La circulation de l’air étant inhomogène sur toute la voilure, cela occasionne une instabilité en tangage. Et du simple point de vue mécanique, la configuration en aile circulaire est fragile.

Mais, étonnamment, ça vole. Et c’est ce qui donne un côté magique à ces engins. On se demande comment ça tient en l’air.

Ça vous vaudra assurément des et des

 

ou encore des sur le terrain du club. Et c’est tout ce qui compte, non ?

Dans le monde des grands, on y a vu d’autres intérêts, et c’est que l’on va survoler ensemble.

 

Un peu d’histoire

Les débuts

La mise en œuvre la plus ancienne d’aile en anneau date des tous débuts de l’aviation, avec le Blériot III (photo de gauche) construit en 1906 par Louis Blériot et Gabriel Voisin. Il refusa obstinément de décoller. D’autres essais (photo de droite) furent tentés par d’autres faucheurs de marguerites. Mais c’est eux qui finirent fauchés après le retrait de leurs soutiens financiers.

  

La seconde guerre mondiale

Des finances, le troisième Reich n’en manquait pas, ainsi qu’une folle envie d’innover.

Le « Club des Fusées » rassemblait ce que l’Allemagne comptait de mieux comme ingénieurs aéronautiques. Ils ont inventé, testé et fabriqué des engins extraordinaires et mortels, pilotés ou non, qui alimentent encore tous les fantasmes et sont à l’origine entre autres de la conquête spatiale. Les inventions de ce gentil club de modélistes avaient toutes un point commun, celui d’être bourrées d’explosifs ou de canons comme armes de la dernière chance pour renverser la situation à la fin de la guerre.

Ils eurent une idée géniale.

Une aile annulaire, on l’a vu, n’a vraiment aucune qualité de vol appréciable à basse vitesse. Par contre, elle reprend beaucoup d’intérêt dans le cadre du décollage et de l’atterrissage vertical (ADAV ou VTOL en anglais). Les B17 ayant criblé de petits trous les pistes allemandes, les besoins en chasseurs à décollage vertical se firent sentir.

Après tout, si le décollage se fait à la seule force du système de propulsion, sans aucunement compter sur la portance, ce défaut de l’aile annulaire disparaît et il n’en reste que les qualités à haute vitesse. Bien entendu, il se pose de nombreux problèmes, notamment celui de la transition entre le décollage vertical et le vol horizontal. Justement, l’aile annulaire fournit de la portance dans toutes les directions, ce qui est idéal pour la transition.

Le Heinkel “Wespe” (guêpe) fut étudié vers la fin de 1944 par Heinkel qui travaillait sur la conception d’un intercepteur à décollage vertical. Il était conçu autour d’une aile circulaire, avec de petits saumons dépassant autour.

Cet appareil fut remplacé sur les planches à dessin en février 1945 par un concept plus évolué : le « Lerche II » (alouette). Il avait une aile annulaire carénant des hélices contrarotatives. Le pilote était installé en position couchée. Ces études font la joie des jeux de simulateurs de vols qui leur ont donné vie numériquement. Même sur PC, l’appareil restait difficilement contrôlable, et je sais de quoi je parle.

Les Américains vinrent siffler la fin de partie pour ce club de joyeux drilles. En échange, ils leur proposèrent un long voyage d’étude aux USA où ils pourraient continuer leurs activités ludiques, sous forme d’une compétition amicale contre une autre équipe de savants, allemande aussi mais sponsorisée par les Soviétiques.

Le BTZ

Attention, nous entrons maintenant dans le monde de Flash Gordon et de Blake et Mortimer, au royaume de la science-fiction vintage. Et ce monde extraordinaire et futuriste est né ici, dans l’Essonne !

Un membre du Club des Fusées était un ingénieur autrichien du nom de Helmut Graft von Zborowski. En 1944, il est le chef d’un groupe d’étude des fusées. Il a travaillé au moteur-fusée Walter du Messerschmitt 163 “Komet”. A ses connaissances solides sur les réacteurs s’ajoutent son intérêt pour les propulsions exotiques, statoréacteur, fusée, et une idée tout aussi exotique, celle de l’aile annulaire.

Ce sont les Français qui le trouvèrent, sans doute dans un placard à balais négligé lors du passage des troupes américaines et russes.

C’est ainsi qu’est né très discrètement le BTZ, un cabinet d’étude installé au château de Brunoy dans l’Essonne, constitué d’un groupe d’ingénieurs d’élite français avec un fort accent, sans doute des Alsaciens. Et après la guêpe allemande Wespe, des projets d’insectes se mirent à grouiller.

Le BTZ étudiait le concept de l’aile annulaire à la fois dans l’optique de réaliser des avions pilotés et des avions sans pilote, qu’à l’époque on n’appelait pas encore des drones.

Le premier modèle piloté étudié a été baptisé “Hanneton I S”. C’était un monoplace, avec deux turbines ayant chacune deux hélices coaxiales contra-rotatives.

Suivi du concept Hanneton II : deux places.

Il y aura ensuite le Hanneton III : trois places.

Et ainsi de suite : version IIIA, 4 places.

Hanneton 7C à sept places, puis un Hanneton IV, à 12 places.

Enfin, la démesure sera atteinte avec le Hanneton 20C à 20 places en deux cabines de part et d’autre de l’aile annulaire !

Du moment que les ingénieurs du BTZ ont pensé placer deux cabines autour d’une aile annulaire, fort logiquement, ils ont également envisagé deux ailes annulaires autour d’une cabine.

Ce sera le concept Lucane :

 

Suivra le Scarabée. Cette fois, il s’agit d’un biplace subsonique de reconnaissance et d’attaque.

Et pour finir, un avion de chasse et d’attaque au sol supersonique léger à aile annulaire, le Bruche. Un monoplace, propulsé par ramjet en croisière (1 500 km/h avec statoréacteur formé par la voilure annulaire) mais équipé en sus d’une turbine Atar 101 qui lui assurerait de disposer d’une sorte de double flux pour le décollage et de pouvoir obtenir un fonctionnement en stato à hautes vitesses.

Cette dernière étude est intéressante : elle fusionne l’idée de l’anneau comme voilure et comme propulseur. Il y a l’idée que le tube que forme l’aile annulaire serait la structure même d’un ramjet que nous appelons en France un statoréacteur. Un statoréacteur n’est rien d’autre qu’un tube vide, dans lequel entre l’air, au sein duquel on vaporise un carburant que l’on fait exploser, ce qui fournit une réaction comme dans les réacteurs classiques. L’avantage est la simplicité et l’efficacité à haute vitesse, sans toutes les pièces en rotation dans un réacteur classique pour compresser l’air. L’inconvénient est que le statoréacteur ne peut pas décoller tout seul : il ne fonctionne que lorsqu’une vitesse suffisante est déjà atteinte de manière à ce que de l’air arrive tout seul en quantité dans le statoréacteur. Au BTZ, on voyait alors que si un engin a aile annulaire avec hélices ou réacteur classique était réalisable, profiter du tube que constitue l’aile annulaire pour s’en servir comme statoréacteur serait une suite logique, et aboutirait à un rêve aéronautique : des avions capables de fortes pointes de vitesse tout en étant capable de décollage vertical.

 

Retour (brutal) sur terre.

Tout ça c’est très beau, mais depuis 1906, excepté les bombes, pas grand-chose n’a volé avec des ailes annulaires. Il était vraiment temps d’y remédier.

Le concept d’aile annulaire et toutes ces applications potentielles seront alors transmis sous licence de BTZ à la SNECMA en 1951.

Et ainsi commenceront les travaux pratiques. Ce fut le SNECMA C-450 “Coléoptère“. Un des grands moments de gloire de l’aviation française. 

Hélas, lors du 9ème vol, le 25 juillet 1959, le pilote Morel devait tenter une amorce de transition, mais une instrumentation inefficace et un manque de repères visuels firent qu’il ne put reprendre le contrôle et dut s’éjecter. Cela marqua la fin du programme, bien que la formule de l’aile annulaire ne fût pas remise en cause. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’avec l’aide de l’informatique et de commandes de vols numériques, l’histoire de l’aviation aurait peut-être pris une direction très différente.

 

Ailleurs dans le monde

Retour donc à la planche à dessin, aux maquettes et aux dessins d’artistes. Citons notamment le Convair 49 des Américains qui présente un sacré air de famille avec notre coléoptère.

Mais le pli était pris, et le vent de l’innovation allait enfin faire décoller de vrais avions, tel cet avion russe.

Ce vent est aussi turbulent. Le décollage d’un avion placé verticalement fut relégué aux romans de gare de SF. On explora plutôt une autre direction.

Si l’aile annulaire n’a pas de bonnes qualités de vol, une autre fonction consisterait à lui faire jouer un rôle de carénage d’hélice. Des essais en soufflerie ont montré qu’en entourant une hélice d’un carénage soigneusement dessiné (lèvres d’entrée arrondies pour éviter les décollements et produire une dépression propulsive) on augmente son pouvoir de propulsion de 25%.

Dans la lignée du Lucane du BTZ, on envisage des appareils à ailes basculantes après le décollage et utilisant un ou plusieurs rotors ou hélices carénées, avec toute une série de prototypes comme le Bell X-22. Le décollage est bien vertical, mais en vol, les ailes annulaires et les rotors assurent une portance appréciable à basse vitesse. Les ailes deviennent minuscules, plutôt des poutres supportant les moteurs.

Deux noms sortent du lot :

Willard Ray Custer

un inventeur américain injustement oublié qui découvrit, par hasard, l’effet Bernoulli lors d’une tornade qui souleva le toit de la grange dans laquelle il s’était abrité. Il a toujours cru à la solution de l’aile annulaire et y a laissé sa fortune au fil de prototypes toujours plus ambitieux. Les deux ailes étaient réduites à de véritables moignons et deux demi-cercles très reconnaissables.

Personne n’y a jamais cru et pourtant, ses avions avec des ailes en gouttières volaient. Les appareils montraient des facultés assez extraordinaires, se posant et décollant en quelques mètres seulement.

Alexander Martin Lippisch

un de ces savants du club des fusées « invités » par les Américains. Ce pionnier allemand de l’aérodynamique connu pour ses travaux sur les ailes volantes, les ailes delta et sur les avions à effet de sol a conçu le très célèbre avion fusée Messerschmitt Me 163 Komet, sur lequel a travaillé également…. Helmut Graft von Zborowski. Tiens ! C’est fou comme le monde est petit !

De 1950 à 1964 il travailla sur le concept “Aerodyne”, engin à vol vertical (VTOL). Un engin de démonstration non piloté vola vraiment au début des années 70, mais l’aérodyne, comme tant d’autres, n’exista que dans l’imagination des rêveurs.

 

Parlons-en des rêveurs.

C’est de nous qu’on parle là, non ?

 

Après plus d’un siècle de recherches et de bancs d’essai volants, il faut avouer que le résultant est bien maigre. Pourtant l’aile annulaire alimente les désirs de vols affranchis d’ailes encombrantes.

Derrière cela, il y a le fantasme de la voiture volante. Garer son véhicule dans son jardin pour voler à son travail au-dessus des embouteillages est notre rêve à tous. Et l’anti-gravité n’ayant toujours pas été inventée, l’aile annulaire continue d’alimenter toujours plus de projets (souvent conjointement avec l’effet Coanda, objet d’un précédent article).

Permettez-moi de rendre ici hommage à l’un de nos plus grand rêveur : , comme toujours en avance sur son temps, qui nous a quitté il y a 20 ans jour pour jour à l’heure ou j’écris ces lignes. Le bon maître inventa la meilleure synthèse de la structure annulaire en même temps aile et carénage de propulseur dans un véhicule suprêmement élégant : le Zorgléoptère.

Eviv Bulgroz ! Mais je m’égare…

Et pour le modélisme ?

J’espère que vous regarderez désormais un tube avec un autre œil. Sachez que des aéromodélistes ont déjà franchi le pas. Votre modèle n’aura peut-être pas les meilleures qualités de vol, mais vous aurez certainement droit aux et aussi sans doute auxen cas de crash.

Des mesures statistiques précises sur le centrage de ces ailes seraient à effectuer, mais certains modélistes ont cru remarquer que leur vol est satisfaisant lorsque leur Centre des Masses est placé à 28 % de leur corde.

Ci-dessus, un atterrissage délicat

 

BON VOL !

Sources :

Wikipedia – blog ufologie PatrickGross – aviationsmilitaires.net – xplanes.free.fr -chandrasekhar.over-blog.com – rc.kaloula.com/forum/viewtopic.php? – gimeole.fr/?q=equipe/perpignan1

Texte : Denis

Relecture : Christelle