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Une brêve histoire de ces drôles d'objets volants

Les Ailes Volantes

Au MCD comme dans beaucoup de clubs d’aéromodélisme, nous sommes friands d’ailes volantes. Avec les prototypes de JN, nous en sommes même passé au stade de la fabrication semi-industrielle pour les débutants et les nouveaux entrants au club.PreviewPreview

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Solides, pas chères, dotées de bonnes qualités de vol et faciles à construire, elles ont toutes les qualités sauf peut-être celle du décollage traditionnel, car elles sont généralement lancées à la main avec plus ou moins de réussite…

https://youtu.be/ROcDaJrOlVA

Mais, à moins de voir passer un B2 à basse altitude, auquel cas courrez vite vers l’abri anti-atomique le plus proche, vous n’avez pas souvent l’occasion de voir une aile volante taille réelle voler dans le ciel. Pourquoi? Comment se fait-il que les ailes volantes soient si peu répandues? JN m’a amicalement suggéré après la série d’articles sur les concepts aérodynamiques de retracer l’histoire de ces engins en EPP qui pullulent sur nos terrains. Craignant pour mon intégrité physique, et celle de mes modèles qu’il teste et règle pour moi,  je m’exécute, et c’est donc ce que nous allons tenter de voir.

Au commencement était le brevet…

Histoire d’enfoncer des portes ouvertes, rappelons que l’aile volante est une aile sans dérive ni fuselage. Présenté comme cela, on comprend que l’histoire de l’aviation à ses débuts n’ait pas choisi cette voie. La logique veut que dans un domaine nouveau, on sépare les différentes fonctions en autant de modules, qu’on fait ensuite évoluer séparément pour les améliorer. Ainsi les tout premiers avions se sont dotés d’un moteur pour avancer, d’un siège pour le pilote, d’une queue pour se diriger, d’ailes pour tenir en l’air et des tas de ficelles et de câbles pour relier tout ça. Les lois de la symétrie ont fait qu’on a rassemblé tout ce qui était en un seul exemplaire au centre. D’où la création des premiers fuselages, supportant les ailes de part et d’autre.

Et ils firent cela et virent que cela était bon, notamment en jetant un coup d’oeil au corps central des oiseaux qui avaient quelques millions d’années d’avance.

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L’histoire des débuts de l’aviation aurait pu se raconter comme ça.

Et bien non.

 

Il se trouve toujours un élément perturbateur dans le monde des inventeurs pour bousculer la logique et faire preuve de créativité. Et quand on pense perturbateur, on pense bien sûr à la France. C’est donc à Alphonse Pénaud et Paul Gauchot que l’on doit un concept d’aile amphibie, déposé en 1876, bien avant le premier envol des plus lourds que l’air. Mû par deux hélices, il n’aurait pas dépareillé dans un ouvrage contemporain de Jules Verne. Et d’ailleurs, il s’y trouve: l’écrivain a repris l’invention intégralement en le renommant “l’Epouvante” dans son roman “Maître du monde” (1904). L'aéroplane est un hydravion monoplan biplace à nacelle étanche, avec deux hélices quadripales (une sur chaque aile), un train de roues rétractable, des gouvernails, ainsi que des instruments de navigation. C’est vous dire s’il était en avance sur son temps.

Alphonse Pénaud, décédé à 30 ans seulement, est un géant parmi les précurseurs. S’il devait y avoir un saint patron des modélistes, ce serait lui, le premier à faire voler des maquettes d’avion et d’hélicoptères propulsées par des moteurs à caoutchouc et des rotors à plume d’oie. Les frères Wright, enfants, jouèrent avec des engins à moteur élastiques de Pénaud. On connait la suite…

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20 ans plus tard, Clément Ader et son “Avion III” semble encore hésiter entre aile volante pure et fuselage supportant les ailes. C’est la seconde voie qui sera adoptée pour les décennies suivantes.

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Citons également parmi les précurseurs ce drôle d’avion de M.Chauvet qui aurait volé en 1933 à Guyancourt

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Ou encore l’aile volante très célèbre AV-3 de Charles Fauvel, qui vola la même année et qu’on peut admirer au musée de l’air et de l’espace du Bourget. Certains concepteurs se sont par la suite inspiré de cette formule pour créer à leur tour des motoplaneurs ou planeurs aile volante, tel Jim Marske aux États-Unis avec la série des Pioneer et Monarch, ou Claude Noin en France avec les Choucas, qui sont tous toujours produits et continuellement améliorés.

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La suite de l’histoire

Comme très souvent dans l’histoire de l’aviation, ce sont les inventeurs Français qui lancent l’idée, les ingénieurs  Allemands qui la reprennent au vol pour les premiers prototypes et les conglomérats Américains qui l’industrialisent.

Ainsi les Allemands ont très bien perçu les avantages de la formule.

Avec le perfectionnement des machines volantes, on s’est aperçut que l’aérodynamisme ne servait pas qu’aux ailes. Il fallait bien lutter contre les frottements, les turbulences. Les cockpits se sont couverts de verre, prenant la forme d’une bulle. Les hélices ont cédé la place aux turbines. La chasse aux aspérités a fait que les jonctions ailes-cockpit se sont adoucies. Et beaucoup plus tard pour les engins militaires, la recherche d’une signature radar réduite à fait que le fuselage se fondait de plus en plus dans la voilure, jusqu’à contribuer lui-même à la portance.

Les Allemands ont imaginé des concepts civils puis militaires. Les années 20 et la nécessité d’emporter le plus de passagers possibles pour la traversée de l’Atlantique poussèrent Junker à proposer de loger des passagers dans les ailes, puis carrément tout le fuselage. Ce fut le J1000 ou “Giant Duck” en 1924, qui ne vit jamais le jour.

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Puis vint la star incontestée des simulateurs de vol de la seconde guerre mondiale: la Horten Ho 229, doublement révolutionnaire avec sa forme d’aile volante et ses réacteurs. Elle était capable de transporter 1000 kg de bombes sur 1000 km à 1000 km/h et pouvait monter jusqu'à 49 000 pieds d'altitude. Elle était aussi la première complètement dépourvue de surface verticale, avec des spoilers (visible sur la photo dans le hangar) sur les ailes pour gérer le lacet. En réponse à la maîtrise de la couverture du ciel par l’invention Britannique du radar, encore à ses débuts, cette aile aurait été le premier engin réellement furtif de l’histoire.

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Cette arme de science fiction pour l’époque n'a fort heureusement pas eu le temps de faire ses preuves pendant la Guerre. Mais elle inspira d’une part les rêveurs et d’autre part les les américains, beaucoup plus terre-à-terre.

Parmi les premiers, citons d’abord H.P. Jacobs et l’aile rouge du diabolique Olrik dans “Le secret de l’espadon”. Spielberg s’ est inspiré aussi du Horten VII, un prototype du Ho 229 à deux hélices propulsives qui a vraiment volé, dans “Les aventuriers de l’arche perdue”.

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Les seconds, eux, ont démonté le prototype allemand pour l’amener  dans un hangar aux USA où il fut mangé par la rouille. Et son étude donna  les Northrop N-1M:

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puis le XB47 quadri-propulsé:

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Et sa version à réacteur XB49, en compétition comme possible successeur des forteresses volantes. Une pré-série fut même produite.

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Mais de graves problèmes de stabilité condamnèrent les programmes. Les technologies n’étaient pas prêtes et les pilotes devaient se battre pour maintenir les engins en l’air. Un prototype de chasseur XP79 Flying Ram s’écrasa au premier vol.

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L’essai britannique d’aile volante , L'Armstrong Whitworth A.W. 52, permit ainsi de tester pour la première fois, avec succès, un siège éjectable, ce qui n’était pas prévu au départ.

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Aujourd’hui et demain

Avec l’arrivée des commandes électriques pilotées par des calculateurs qui font l’interface entre le pilote et les surfaces de contrôle de vol, il en allait tout autrement. L’instabilité naturelle de l’aile pouvait être maîtrisée. Les projets furent ressortis des tiroirs à la fin des années 70. Et ce fut le B2. La seule véritable aile volante jamais produite en série. Enfin en petite série, vu le coût stratosphérique du machin.

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Ses concepteurs, eux aussi, regardèrent les oiseaux, qui avaient quand même quelques millions d’années d’avance, et ils virent que cela était bon. Désormais, grâce à ses formes fluides et son absence de surfaces verticales, les radars ennemis ne détectent plus qu’une signature de la taille d’un moineau inoffensif.

Un moineau qui vole à 900km/h mais bon, on ne va pas chipoter.

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Dans les cartons des militaires, les projets foisonnent. Les chasseurs du futur n’ayant plus besoin de pilotes pour toutes les missions, et les impératifs de furtivité, réduisent les designs modernes à deux ailes et une entrée de réacteur.

Citons en vrac le A12 (avion naval piloté, abandonné dans les années 90) 

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Puis avec les années 2000 arrivent les drones X45C, X47C, Pegasus, Neuron de Dasault etc…Vous ne trouvez pas qu’il y a un drôle d’air de famille ?

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Les militaires ont rejoint les modélistes. S’ils nous avaient demandé on leur aurait fait gagner du temps.

Dans l’aviation civile également, on s’intéresse de prêt aux ailes volantes, pour des raisons différentes. D’abord parce qu’une aile seule, c’est beau. On a déjà parlé du vol à voile. L’un des essais les plus originaux actuels est la Swift, motorisée ou non, à mi-chemin entre un planeur et un ULM.

 

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Un japonais un peu fou a aussi fabriqué une aile qu’on enfourche comme une moto, réplique de celle du film animé de Miyazaki Nausicaä de la vallée du vent.

                              Il a volé avec.

                                                                      Et il n’est pas mort.

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Enfin, une jeune société allemande essaie de redonner vie aux ailes Horten, avec un premier prototype, la Horten HX-2 qui a volée en 2019

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Pour le transport civil, les progrès sont, disons-le, carrément, nuls, il faut bien le reconnaitre.

Sur le papier, c’est une très bonne solution.

L’aile triangulaire a une bien meilleure charge alaire que les ailes classiques. Le rapport masse/volume est inégalé. On veut transporter toujours plus de passagers en une seule fois avec moins de carburant, mais la course au gigantisme est limitée par la taille des aéroports et des installations aéroportuaires. Or dans un triangle, on loge bien plus de passagers que dans un tube. Et il reste largement de la place pour mettre assez de carburant pour aller à l’autre bout du globe d’un coup d’aile.

Et en plus on réduit le bruit si les moteurs sont placés sur le dessus de l’aile.

Des projets sont à l’étude:

Projet russse

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Projet américain de Boeing

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Mais enfin pourquoi on ne le fait pas ?

Un avion, aussi innovant soit-il, reste le fruit d’un siècle d’expérience et de savoir faire accumulé et transmis. Comment repartir à zéro sur la planche à dessin (numérique)?

Le poids des habitudes est donc important, mais pas que.

Il y a aussi des contraintes, que ni les modélistes comme nous, ni les militaires n’ont. Et il y a de grandes chances que ces contraintes restent longtemps rédhibitoires, sauf peut être pour le transport de fret. D’abord, on l’a vu, l’aile volante est naturellement instable, ce qui en cas de panne électrique laisse le pilote aux commandes d’une brique volante pleine de passagers.

D’autre part, la structure de l’aile volante se prête moins bien à la tenue des efforts de pressurisation que le tube d’un fuselage classique, dont la section circulaire est plus résistante. Et il y a plus embêtant encore: le volume utilisable est disponible, non pas en longueur, mais en largeur, dans l’aile elle-même. Les mouvements en roulis en vol seraient ainsi très désagréables pour les passagers situés sur les côtés. Ceux qui se sont trouvés un jour à l’arrière près des toilettes dans des turbulences me comprendront. Enfin, psychologiquement, il faut accepter le fait de ne plus voir de  hublots mais seulement des écrans pour voir l’extérieur.

Le coup de grâce final est sans doute que si un avion-aile emporte plus de volume à envergure égale, il emporte aussi moins de masse. Les volets hypersustentateurs étant inexistants en raison de l’absence d’empennage, le coefficient de portance maximal d’une aile volante est beaucoup plus faible que celui d’un avion conventionnel. Supprimer les dérives, le fuselage, l’empennage réduit la trainée, certes,  mais oblige à faire remplir les fonctions de contrôle des lacets et du tangage par l’aile elle-même, ce qui n’est pas trop sa fonction. On doit faire des tas de compromis, ce qui annule pratiquement les gains.

À masse transportée égale, la surface portante, et donc fatalement l’envergure de l’aile volante, doit être plus grande.  Un A380 de 80 m d’envergure est la limite actuelle que peut accueillir un aéroport. Pour plus de passagers, il faut plus d’envergure, même pour une aile volante. Pour aller au-delà , il faudra peut-être revenir à la formule de l’hydravion, … imaginée par Pénaud en 1876.

 

Et les oiseaux, qui ont quand même des millions d’années d’avance et contrôlent leur vol en faisant des torsions avec leurs ailes, nous regardent et se marrent bien.

 

Denis MICHEL

Sources principales

https://www.jp-petit.org/Ailes_volantes/Northrop.htm

https://www.jp-petit.org/Ailes_volantes/Horten.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Aile_volante

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_ailes_volantes

https://fr.wikipedia.org/wiki/Northrop_XP-79

https://fr.wikipedia.org/wiki/Armstrong_Whitworth_A.W._52

https://fr.wikipedia.org/wiki/McDonnell_Douglas_A-12_Avenger_II

https://fr.wikipedia.org/wiki/Aile_Fauvel

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fuselage_intégré

http://www.northropgrumman.com/MediaResources/MediaKits/B21/InTheNews_JackNorthrop.aspx

http://www.dieselpunks.org/profiles/blogs/s-a-m-30-the-giant-duck